LA PLAISIR DE LA CARESSE
S’il paraît d’abord surprenant d’appeler le philosophe à réfléchir la caresse, c’est qu’on ne voit pas très bien comment un pur et simple geste pourrait donner prise à la pensée, sinon lieu à un verbiage. En effet, comment faire de la caresse l’objet d’un discours s’il n’est rien de plus silencieux, rien de plus insignifiant, comme d’ailleurs les mots qui parfois l’accompagnent ?
Toute à sentir, non à penser, elle échappe au concept, chose du monde la moins caressante. L’ambition d’en produire la raison semble donc aussi vaine qu’incongrue. De surcroît, n’est-il pas on ne peut plus agaçant que l’entendement se mêle de ce qui l’exclut et qu’il peut juger indigne de lui? Aussi, à supposer même qu’il accorde à la caresse une réelle considération, doit-on craindre qu’il n’y comprenne rien. Car une faculté des concepts, toujours obstinément attachée à connaître, est sans doute foncièrement inapte à saisir l’exercice d’un acte qui d’abord se montre le plus détaché, comme insouciant d’aucun savoir.
L’entendement, la faculté des concepts, ne serait-il pas ici comme une sorte de « pachyderme », littéralement “peau épaisse”, dont le cuir précisément serait si épais, si froid aussi, qu’on ne voit pas comment il pourrait lui permettre de manier le subtil épiderme et donc de réfléchir vraiment la caresse?
En outre, la caresse ne produit aucune oeuvre, ne laisse aucune trace qui puisse nourrir l’instruction de son procès. Trop subtile, trop inconsistante… Pas assez réelle ou au contraire son effervescence même, la caresse n’a pas d’objet. Elle ne produit rien, se consume en s’opérant, se consomme en s’annihilant…
De sorte que, s’il a pu nous sembler d’abord surprenant d’appeler le philosophe à penser la caresse, il semble, en vértié, que cette dernière l’interpelle au plus haut point.
À cela, trois raisons principales.
D’abord et loin d’une opinion hâtive, est-il tellement certain que le plaisir de la caresse soit simplement physique ?
Ensuite, si la caresse est bien l’opération d’un dessin des formes du corps, n’est-elle pas la recomposition sans fin de l’idée même du corps ?
Enfin, si la caresse peut sembler inconsistante, qui n’a pas fait l’expérience de son prodigieux pouvoir ? À peine déposée sur un corps malade ou fiévreux, la voici capable d’apaiser les turpitudes de l’esprit et les douleurs les moins physiques. Qu’est donc ce pouvoir presque magique ? Que sont au juste ces souffrances morales, que soulage la simple impression d’une caresse sur le corps ? Et de quoi ce dernier, le corps, est-il le nom si un plaisir qu’on dit corporel peut soulager les tourments de l’âme ?